Dépistage et réduction de la mortalité

Réduire la mortalité est l'objectif principal du dépistage. Malheureusement, il n'y a pas de consensus sur la réduction de mortalité que permet le dépistage des cancers du sein. Les détracteurs du dépistage affirment, arguments à l'appui, que la réduction de mortalité par le dépistage est très modeste. Les partisans du dépistage afirment eux, avec d'autres arguments, que la réduction de mortalité par le dépistage est conséquente.
La réduction de mortalité par le dépistage peut être envisagée sous différents angles :
- ce que nous apprennent les études épidémiologiques
- ce qu'on peut déduire d'un raisonnement théorique
- le point de vue officiel

Les études épidémiologiques

De nombreuses études ont été menées pour chiffrer la réduction de mortalité spécifique obtenue grâce au dépistage des cancers du sein.

Le raisonnement théorique

Devant l'hétérogénéité des résultats des études épidémiologiques, il est licite de tenter de s'appuyer sur un raisonnement théorique pour trancher entre pas ou peu de réduction de la mortalité et une réduction conséquente de plus de 30%.
Il n'est guère contestable que, plus un cancer est pris en charge précocement, meilleur est le pronostic. Il est donc tentant d'en déduire que le dépistage, en permettant des diagnostics plus précoces, devrait réduire de manière importante la mortalité par cancer du sein.
Cependant, lorsqu'on creuse un peu la question, on se rend vite compte que ce postulat, qui semble de bon sens, se heurte à un problème. Le dépistage est inutile quand le cancer est encore trop petit pour être visible sur une mammographie. Il est également inutile quand le cancer s'est suffisamment développé pour être diagnostiqué à l'occasion de signes cliniques (masse palpable, déformation du sein, écoulement par le mammelon, ...). Ainsi, le dépistage n'a d'intérêt que s'il est réalisé dans la fenêtre temporelle comprise entre le moment où le cancer devient radiologiquement détectable et le moment où il devient cliniquement évident.
Les cancers d'évolution rapide, qui sont aussi les cancers au pronostic le plus péjoratif, ont une fenêtre brève et de grandes chances d'échapper au dépistage. Les cancers d'évolution lente, de meilleur pronostic, ont une fenêtre longue et peu de chances d'échapper au dépistage.
C'est ce qu'illustre la figure ci-dessous, où on voit qu'un cancer d'évolution rapide peut échapper au dépistage parce sa fenêtre est trop brève pour inclure une une mammographie de dépistage. Le cancer d'évolution lente est lui retrouvé par le dépistage parce que sa fenêtre est suffisamment longue pour inclure une mammographie de dépistage.

Le dépistage a donc tendance à rater les cancers d'évolution rapide, les plus graves, et à trouver surtout les cancers d'évolution lente, les moins graves.
Au final, il y a donc des arguments théoriques en faveur d'une réduction significative de la mortalité par le dépistage mais aussi des arguments théoriques conduisant à penser que la réduction de mortalité grâce au dépistage pourrait être modeste.

Le point de vue statistique

Les partisans du dépistage affirment que le dépistage permet une réduction de 20% de la mortalité par cancer du sein. Ils fondent cette affirmation principalement sur des méta-analyses de 11 essais cliniques randomisés menés entre entre les années 70 et 80.

Cette affirmation ne fait toutefois pas l'unanimité.
D'une part, les méta-analyses concluant à cette baisse de 20% ont été contestées.
D'autre part, ces 11 essais cliniques randomisés remontent à plus de 30 ans et, depuis, les traitements du cancer du sein ont bien évolué. Or l'intérêt d'un diagnostic précoce, donc l'intérêt potentiel du dépistage, dépend de l'efficacité des traitements du cancer.
Pour bien s'en convaincre, imaginons d'abord la situation suivante : on guérit toutes les petites tumeurs mais on est totalement démuni devant les tumeurs évoluées. Il est évident que, dans cette situation, l'intérêt d'un diagnostic précoce, avant le stade de tumeur évoluée, est majeur. C'est donc dans cette situation que le dépistage pourrait trouver son intérêt maximal.
Imaginons maintenant cette autre situation : on guérit facilement toutes les tumeurs, y compris les tumeurs très évoluées. Dans cette situation, un diagnostic précoce n'a guère d'intérêt puisque, évoluées ou peu évoluées, toutes les tumeurs ont le même bon pronostic. Dans cette situation, le dépistage n'a donc aucun intérêt.
Bien sûr, ces situations sont des situations virtuelles extrêmes et, dans les années 70-80, on était quelque part entre ces 2 extrêmes, comme illustré sur le schéma ci-dessous.
Et actuellement, du fait des progrès thérapeutiques, on est sans doute quelque part à droite, avec des bénéfices du dépistage moindres.

Relation traitements / dépistage

Des études récentes suggèrent même que le dépistage ne s'accompagnerait d'aucune baisse significative de la mortalité ( Autier et al. 2017 Autier P., Boniol M., Koechlin A., Pizot C, Boniol M.
Effectiveness of and overdiagnosis from mammography screening in the Netherlands: population based study.
BMJ 2017;359. doi:10.1136/bmj.j5224
, Møller et al. 2018 Møller M.H., Lousdal M.L., Kristiansen I.S., Støvring H. (2018)
Effect of organized mammography screening on breast cancer mortality: A population based cohort study in Norway.
Int J Cancer. doi:10.1002/ijc.31832
). Même si ces études, non randomisées, ne permettent pas d'affirmer l'inefficacité du dépistage, elles confirment au moins que les 20% de réduction de mortalité des années 70-80 pourraient ne plus être d'actualité.

L'allongement de l'espérance de vie

Aucune étude n'a pu démontrer que le dépistage du cancer du sein permettait un allongemement de l'espérance de vie.

Pour une femme qui se demande si elle a intérêt ou non à participer au dépistage, cette information est essentielle. Il est évident que l'intérêt du dépistage est d'allonger l'espérance de vie en bonne santé et pas de remplacer les décès par cancer du sein par des décès par infarctus ou accident vasculaire cérébral.

L'absence d'étude montrant un allongement de l'espérance de vie avec le dépistage est une réalité qui peut s'expliquer de 2 façons.
1ère explication : il y a un allongement de l'espérance de vie mais il est trop modeste pour pouvoir être mis en évidence.
Avec 12.000 décès annuels par cancer du sein pour 300.000 décès au total, les décès par cancer du sein ne représentent que 4% de tous les décès chez les femmes. Même si le dépistage permettait de réduire de 20% la mortalité par cancer du sein (soit d'éviter 2.400 décès), cela ne ferait baisser la mortalité générale que de moins de 1%. Difficile de mettre en évidence une baisse aussi modeste.
2ème explication: si on ne met pas en évidence un allongement de l'espérance de vie, c'est parce qu'il n'y en a pas.
Le dépistage génère des surdiagnostics (cf page consacrée aux risques du dépistage). Ces surdiagnostics donnent lieu à des traitements inutiles (= surtraitements). Ces traitements sont inutiles mais, pour autant, ils ne sont pas dépourvus d'effets secondaires, dont certains peuvent être graves voire mortels. Il est donc possible que le bénéfice de réduction de la mortalité par cancer du sein soit perdu du fait d'une augmentation de la mortalité d'autres causes en rapport avec les effets secondaires des traitements des surdiagnostics

Par ailleurs, il faut garder à l'esprit que l'allongement de l'espérance de vie résulte d'une politique des petits pas : gagner sur la mortalité des cancers, des maladies cardio-vasculaires, des maladies neuro-dégénératives, ... Réduire la mortalité par cancer du sein garde donc tout son intérêt, dans le cadre de cette politique des petits pas, même si, à elle seule, elle ne génère pas d'allongement de l'espérance de vie des femmes.

L'allègement des traitements

Les partisans du dépistage affirment que le dépistage permet d'alléger les traitements du cancer du sein mais ne fournissent aucun chiffre pour étayer cette affirmation.
Peu de données sont disponibles concernant la chimiothérapie et la radiothérapie.
En revanche, les données du PMSI permettent de suivre l'évolution du nombre de traitements chirurgicaux pour cancers du sein. Et ces données sont sans appel : en France, le nombre de mastectomies n'a cessé d'augmenter de 2000 à 2016 et le dépistage n'a eu aucun impact sur cette augmentation. C'est ce qu'illustre le graphique ci-dessous, tiré de Robert et al. 2017 Robert V., Doubovetzky J., Lexa A., Nicot P., Bour C.
Le dépistage organisé permet-il réellement d’alléger le traitement chirurgical des cancers du sein ?
Médecine 2017;13(8):367-371. doi:10.1684/med.2017.233
, qui montre l'évolution annuelle, en France, du nombre de mastectomies totales pour cancer du sein.

Evolution des mastectomies totales pour cancer du sein en France

En résumé :
- aucun bénéfice démontré en terme d'espérance de vie
- une réduction de la mortalité par cancer du sein contestée,
        avec d'un côté des études contrôlées randomisées mais trop anciennes, qui concluent à une baisse de 20% de la mortalité,
        et de l'autre côté des études récentes mais non randomisées, qui ne retrouvent pas de baisse de mortalité.
- pas d'allègement des traitements chirurgicaux et pas de données probantes concernant les radiothérapies et chimiothérapies.



Dernière mise à jour le 08/12/2023